Fin de la séparation : et maintenant ?
La promulgation de la loi Duplomb vient mettre un terme à près de cinq ans de séparation conseil et vente pour les produits phytosanitaires. Laissant place à une période de flou en attendant les textes d’application, en particulier concernant les agréments. Décryptage. Par Marion Coisne
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Appelée de ses vœux par la distribution agricole depuis sa mise en place, l’abrogation de la séparation du conseil et de la vente pour les produits phytos a été entérinée le 12 août dernier, lors de la promulgation au Journal officiel de la loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». La Coopération agricole et NégoA s’étaient réjouies dès le 8 juillet de l’adoption définitive du texte. Restait le recours déposé au Conseil constitutionnel, lequel a rendu sa décision le 7 août. Si les Sages ont censuré l’article 2, qui ouvrait la porte à une réintroduction de l’acétamipride, l’article 1 n’a pas évolué. Ce dernier acte la fin de la séparation pour les vendeurs de produits phytosanitaires mais pas pour les fabricants. À moins qu’ils ne produisent exclusivement des produits de biocontrôle, composés uniquement de substances de base, à faible risque, ou autorisés en bio.
Facturation du conseil
Le conseil phytosanitaire, qui peut de nouveau être réalisé par des coopératives et négoces, devra privilégier les méthodes alternatives, tenir compte « des enjeux environnementaux […] dans l’aire d’activité de l’utilisateur » et proposer « des modalités de préservation de l’environnement en cas d’utilisation de produits phytopharmaceutiques ». Il devra être formalisé par écrit, et donner lieu à une facturation distincte. Disposition qui engendre un certain nombre de questions : quelle forme devra prendre cette facturation ? Un forfait, annuel par exemple, sera-t-il possible ? « Ce sont des questions auxquelles devrait répondre le décret d’application relatif aux agréments », indique Pauline Bodin, responsable intrants agricoles et environnement à La Coopération agricole Métiers du grain. De fait, avec la loi, l’agrément vente devra être revu, et « tel que le texte est écrit, pour faire du conseil, les distributeurs devront a priori aussi être titulaires d’un agrément pour le conseil », avance-t-elle, précisant que cette analyse doit être confirmée par la DGAL. Car si la loi est promulguée et s’applique donc, en pratique la situation actuelle ne peut pas changer tant que les nouveaux agréments ne sont pas connus.
Certiphyto : un module en plus
Autre évolution : le conseil stratégique phytosanitaire (CSP) perd son caractère obligatoire. Il « peut être délivré » aux agriculteurs, « notamment lors de leur installation ou lors de la reprise ou de l’agrandissement d’une exploitation agricole ». Pour les distributeurs qui vendent des produits phytosanitaires et souhaitent le proposer, un décret en Conseil d’État prévoira « les exigences nécessaires à la prévention des conflits d’intérêts […] afin de garantir la qualité et le caractère objectif de ce conseil ». Le Certiphyto se voit étoffé d’un « module spécifique d’aide à l’élaboration de la stratégie de l’exploitation agricole en matière d’utilisation de produits phytopharmaceutiques ». Là aussi, un texte d’application est attendu.
Conseil stratégique global
Un conseil stratégique global facultatif, intégrant le CSP, est aussi évoqué, et vise à « améliorer la viabilité économique, environnementale et sociale des exploitations agricoles ». Formalisé par écrit, il porte notamment sur « les débouchés et la volatilité des marchés, le degré de diversification et le potentiel de restructuration ou de réorientation du projet, la stratégie de maîtrise des coûts de production, en particulier en matière de main-d’œuvre, de machines agricoles et d’intrants, la réduction de la consommation énergétique et des émissions de gaz à effet de serre, la gestion durable de la ressource en eau et le maintien de la qualité agronomique des sols ». Il devra être assuré par des « conseillers compétents en agronomie ». Un décret définira les exigences les concernant. Sous réserve de leur respect, il pourra être réalisé par des coopératives et négoces.
Dernière disposition concernant la distribution agricole : le montant de l’amende pour les vendeurs de produits phytosanitaires n’ayant pas d’agrément passe de 15 000 € à 50 000 €.
Quatre textes attendus
Au total donc, quatre textes restent à paraître : pour les agréments, pour prévenir les conflits d’intérêts pour le CSP, pour le nouveau module du Certiphyto, et pour les conseillers habilités au conseil stratégique global. Si LCA et NégoA se félicitent du texte, ils attendent les décrets (lire encadrés). Quant à Phyteis, représentant les firmes phytosanitaires, l’organisation regrette qu’elles « restent écartées du conseil, ce qui empêche une complémentarité utile sur le terrain avec les distributeurs agricoles ». Concernant l’exception pour les fabricants uniquement de biocontrôle, à faible risque ou UAB, Phyteis dénonce des restrictions qui limitent « le rôle des entreprises généralistes dans le déploiement de l’approche combinatoire de la protection des cultures. Elles freinent également l’accès des agriculteurs à des solutions innovantes ou à l’agriculture de précision. »
« Un gâchis » pour le PCIA
Au PCIA, représentant les conseillers agricoles indépendants, « on ne peut pas être satisfait » : « on retombe dans le conflit d’intérêts », avec un texte « à l’opposé des objectifs de réduction des produits phytosanitaires et des intrants d’une manière générale, pointe le PCIA. À l’automne 2023, lors des auditions de la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale sur l’échec des plans Ecophyto présidée par le député Frédéric Descrozaille, les représentants de la FNA et de LCA avaient reconnu que la vente de produits phytosanitaires faisait partie de leur modèle. Avec cette loi, on rend le conseil, entre autres, à des vendeurs. C’est un gâchis. Chacun son métier : le conseil, la vente et l’application sont trois métiers totalement différents. » Quant à la facturation distincte obligatoire pour notamment le conseil et la vente, « cela va dans le bon sens, reste à voir les exigences, mais aussi comment cela sera encadré et contrôlé par les pouvoirs publics ».
Mais pas de faillites prévues
Faut-il s’attendre à des faillites de conseillers indépendants, avec la fin du caractère obligatoire du CSP ? « Nos adhérents n’ont jamais ciblé cette prestation, donc l’impact est très limité », répond-on au PCIA, qui craint en revanche que la loi ne mette un coup de frein aux installations d’indépendants. « Les pouvoirs publics accumulent les signaux négatifs envers le conseil indépendant, à commencer par l’absence de contrôle de l’application de la loi sur le terrain quand elle était en vigueur, puis l’abrogation du dispositif avec la loi Duplomb, et l’absence de mise en lumière du rôle important du conseiller indépendant. » Comment le PCIA voit-il l’avenir ? « On va continuer de se battre pour que le conseil indépendant reste indépendant, et on continuera de travailler avec les agriculteurs qui connaissent sa valeur ajoutée, mais aussi le faire connaître à celles et ceux qui n’en ont jamais eu vraiment connaissance. Il faut avoir conscience que la loi Duplomb et ses incohérences vont donner naissance à des problèmes lourds de conséquences pour l’agriculture et toute la société. »
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